[Mission de rang S] Une ombre nommée Racine...

C’était l’une de ces heures où l’heure ne compte plus. L’un de ces instants où le temps n’a plus aucune influence. La nuit était tombée depuis déjà bien longtemps, et nul ne pouvait dire dans combien de temps exactement le jour viendrait éveiller le ciel parsemé d’étoiles à nouveau. Il était trop tard, où trop tôt, et plus aucune valeur d’estimation temporelle ne pouvait prétendre le contraire.

Les yeux écarquillés par la seule force de ma volonté, et des quelques douzaines de thé que j’avais pu boire dans la nuit, je fixais pour la énième fois un rapport de l’ANBU racine plus ou moins récent, cherchant un quelconque indice sur lequel baser ma réflexion. Réflexion. Là aussi, c’était un bien grand mot. Les quelques rares parcelles de mon cerveau qui parvenaient encore à lutter contre l’assoupissement me servaient avant tout à tenir assise sur ma chaise, et tenter vainement d’articuler.

Kanzaki ne devait plus tarder. La faire réveiller à une heure pareille n’était pas coutume pour un ordre de mission, mais l’obscurité dévorante de la nuit et la discrétion qui en découlait étaient deux avantages de poids non négligeables dans cette histoire. Une affaire de contre espionnage était toujours des plus délicates à gérer. Une découverte maladroite ou malheureuse, et c’était le conflit civil assuré. Mais je ne pouvais pas me permettre de laisser mes arrières a découvert ainsi, alors que Danzô tendait au dessus de ma nuque une épée de Damoclès comme il m’en avait rarement été donné l’occasion d’en voir dans ma vie.


Soupirant une fois de plus sur ce rapport sans faille, je me laisser fondre sur le bureau, à bout de force. Une journée pareille, cela ne pouvait se vivre qu’une seule fois dans une vie. Une seconde fois aurait certainement été fatale…

De la lumière. De la chaleur, comme depuis bien longtemps je n’en ressentais plus. Comprenant par là même que la situation n’était pas réelle, je me réveillais subitement, arrachant au passage l’une des pages du rapport sur lequel je m’étais assoupi et qui restait collé à ma joue. Devant moi, Kanzaki Koichi. Sur ma figure, le dernier rapport de surveillance de Danzo en date. Je fixais ma cousine, tentant vaguement de saisir le fil de la situation. Il était déjà loin. A dire vrai, c’était plutôt moi qui était partie très loin, perdue dans un rêve érotique en plein milieu de la nuit alors qu’une Juunin attendait mes instructions avec beaucoup de zèle… Avec la vague impression d’être un bloc note, je décollais la feuille de mon visage, et y jetais un coup d’œil distrait. Cela me permis de comprendre pourquoi Kanzaki était là, en train de me regarder curieusement, et ce que moi-même je pouvais bien faire dans mon bureau à une heure pareille, bien que ceci soit devenu plutôt habituel. Je tentais de me ressaisir, et de saluer la nouvelle arrivante.

- mompf….

Consciente que ce n’était pas vraiment une expression, je clignais des yeux, tentant vainement de décoller mes paupières. Le spectacle d’une grosse ours femelle qui sortait d’hibernation n’aurait pas été bien différent, mis à part peut être du côté d’un point de vue pileux. Un mot, une phrase, vite, n’importe quoi.

- Merci…d’être venue.

Un bâillement à étouffer. Merde, c’est dur. Dévoiler le fond de ses amygdales à un shinobi venu quérir une mission, ce n’est jamais très diplomate. Dans un élan de force surhumaine, je parviens à maintenir ma mâchoire close, plus par défi personnel que par réel respect.

Ce petit exercice maxillaire me réveilla un peu, parvenant enfin à me faire quitter ma léthargie profonde. Danzo. Il était la source de bon nombre d’interrogations depuis le conseil. Son visage balafré m’obsédait, à tel point que je ne semblais plus capable de raisonner logiquement depuis quelques heures. Tant que je n’aurai personne sur l’affaire, je ne pourrai penser à rien d’autre, c’était clair. Un peu à la manière d’un ancien amant détestable qu’on avait quitté en de mauvaises circonstances. Cet amant médiocre là, voilà plusieurs générations qu’on se le coltinait, et voilà plusieurs générations d’Hokage qu’il prenait un malin plaisir à emmerder. Le voir devenu aussi coulant qu’une colique, c’était plus effrayant encore que la perspective d’une guerre mondiale imminente.
Lentement, le cerveau se remit en marche, et bien que l’œil reste vitreux, on pouvait y distinguer une petite lueur vive. La machine à planifications diverses était de retour, dans cette pièce, à 5H du matin.


- Ce que je vais te confier ne doit jamais sortir d’ici.

C’était presque inutile. En tant que ninja, Kanzaki savait pertinemment qu’une fois sortie, elle devrait la fermer, garder chacun de mes mots pour elle, sans même les confier ne serait ce qu’à la plus innocente des baleines. Mais il était toujours bon de rappeler certaines choses.

[- je suis l’Hokage ! Non, ça, on s’en fou XD]

-J’ai besoin d’une personne, une seule et unique personne de confiance, pour…surveiller quelqu’un. Et comme ce n’est pas n’importe qui, je dois compter sur ta plus grande discrétion…

La discrétion. Ce n’était pas le fort de Kanzaki, elle qui aimait tant se faire remarquer… mais d’une certaine manière, ses pitreries juvéniles étaient le plus redoutable des masques d’imperceptibilité. Qui donc pouvait soupçonner que derrière ce visage angélique et son attitude enfantine se trouvait une Juunin parfaitement compétente ? Certains peut être, mais pas Danzô. Elle symbolisait tout ce qu’il exécrait. Elle était l’incarnation du visage souriant de Konoha, qu’il cherchait à faire tomber depuis toujours. Il n’avait absolument aucune estime pour ce genre de ninjas, seulement du mépris. Et c’est ce mépris qui était la plus grande de nos armes. Son déni pour le talent des ninjas de Konoha le perdrait, j’y comptais bien…